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Les festivals en Afrique, leurs impacts.

Les festivals en Afrique, leurs impacts.

Les festivals africains

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Link Reuben

Un festival est souvent indissociable de son public. Il en fait son identité au même titre que sa programmation. Quel type de public accueillent les festivals africains ? En Ouganda, par exemple, The Bayimba International festival identifie son public comme suit : « Notre public est issu de toutes les strates sociales. Il y a les touristes, les citadins, les communautés locales, notamment les pêcheurs, les cyclistes et les chauffeurs de boda boda.(taxis motos ).75% sont d’Ouganda et 25% internationaux. 24% de ce public est âgé de 18 à 25 ans. 36% des festivaliers ont entre 30 et 45 ans et 16% ont plus de 50 ans ». Sur l’archipel de l’océan indien, le Sauti za Busara festival, accueille 4000 visiteurs par jour dont 63,5% sont Tanzaniens et le reste du public est en provenance d’autres pays d’Afrique, d’Europe, du Japon et les USA. Son organisateur le qualifie de festival panafricain au point où, les locaux s’adressent aux autres festivaliers en Swahili, la langue locale, mais aussi langue véhiculaire dans une grande partie de l’Afrique.

Dès lors, peut-on dire que les festivals restent importants pour les productions africaines et les artistes au vu de la diversité des publics ? À cette question, les points de vue convergent unanimement sur leurs atouts. En effet, bien que la digitalisation ait pris une place prépondérante dans le paysage culturel en offrant l’opportunité aux artistes de se produire et se faire connaître auprès du grand public avec un petit budget voir quasi gratuitement moyennant une bonne connexion internet, les festivals restent le terrain sur lequel les artistes peuvent se forger une réelle expérience en termes de « spectacle / show » comme l’appelle les anglo-saxons et rencontrer leur public qui peut avoir des attentes bien différentes en comparaison du digital, assure Luc Mayitoukou. Pour Yusuf Mahmoud, fondateur du festival Sauti za Busara, son festival s’attache à programmer les artistes issus de groupes minoritaires et la mise en avant des identités culturelles qui sont bien souvent en dehors des radars des médias mainstream. Un festival est aussi un laboratoire de création, de confrontation d’idées, d’échanges de bonnes pratiques qui a ce titre, endosse le rôle de source d’idées pour des nouvelles créations note Aristide Tarnagda, du festival des Récréatrâles à Ouagadougou. Enfin, les festivals à visée de marchés, c’est-à-dire des festivals qui font rencontrer les artistes et les professionnels sont un réel tremplin pour se faire connaître auprès des programmateurs et de professionnels du secteur comme par exemple le festival Visa for music se déroulant au Maroc à Rabat.

Le continent africain fait face à une demande dans le secteur des industries culturelles et créatives (ICC) en constante augmentation. Une combinaison de deux facteurs moteurs de la croissance de la demande de contenus créatifs: la hausse de la classe moyenne et une population dont 60% est âgée de moins de 25 ans. Il s’observe une augmentation d’entreprises du secteur culturel et créatif qui se spécialisent sur l’un des maillons de la chaîne de valeurs qui comprend, la création, la production, la distribution et la diffusion, dont l’objectif principal est de générer de la richesse (du profit) en utilisant des produits culturels. Certains pays sont plus dynamiques que d’autres et toutes les filières ne sont pas génératrices de revenus au même titre en raison du volume de consommateurs. La demande des produits africains s’étend également en dehors des marchés euro-américains traditionnels avec une tendance à la hausse en Asie, principalement de la part de la Chine.(1) A l’échelle des festivals, ceux-ci permettent de générer du profit pour l’économie locale où la venue des festivaliers boost la consommation des produits locaux et la création indirecte d’emplois. Par ailleurs, les équipes sont formées et leurs compétences valorisées sur le marché de l’emploi. Un rapport d’Africa Synergy en 2015 a révélé qu’un montant de 7.2 millions de dollars de revenus par an étaient directement imputable à la tenue du festival Sauti za Busara en Tanzanie. Les festivals sont aussi devenus des espaces de dialogue pour des sociétés plus inclusives et permettent de la sorte de répondre aux défis majeurs des sociétés africaines contemporaines.

Malgré une réelle plus-value dans la valorisation et la promotion touristique des pays, les festivals privés africains peinent à trouver écho auprès des autorités publiques en termes de soutien financier et d’accompagnement dans leur structuration sous prétexte qu’il y a d’autres secteurs prioritaires. Cela les maintient dans un système de financement fragile où lorsqu’un bailleur ou sponsor décide de quitter le navire, ce dernier tangue dangereusement risquant de le mettant en péril. Quid du secteur privé ? Celui-ci ne s’intéresse qu’aux festivals de masse car génératrices d’une plus grande visibilité et lorsque des partenariats arrivent à être établis, ils sont bien souvent ponctuels et ne permettent pas de compter sur un partenariat durable dont les festivals ont besoin pour se structurer. Mais le tableau n’est pas si noir que ça. En effet, le Maroc fait figure de bon élève, car ses festivals sont soutenus par les autorités publiques surtout à travers le ministère du tourisme et la compagnie nationale Royal Air Maroc qui sont partenaires directs des festivals. Au Sénégal, la Biennale de Dakar, grand rendez-vous de l’Afrique de l’Ouest pour l’art contemporain est directement financé par le gouvernement qui lui alloue un budget spécial. Le Fespaco (festival panafricain de cinéma de Ouagadougou) au Burkina Faso bénéficie du même avantage. Rappelons que, l’appui et le développement des industries cultuelles et créatives à travers des politiques publiques est une des recommandations de la Convention de protection et promotion des diversités culturelles de 2005 de l’UNESCO qu’une majeure partie des pays africains ont ratifié.(2) Pour Luc Mayitoukou, un soutien financier dès les premières heures des festivals est un réel avantage pour développer un réseau en dehors des subventions publiques et espérer grandir.

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Robin Batista

Le chemin vers la tenue d’un festival est parsemé de beaucoup d’obstacles avec la mobilité en queue de peloton. Force est de constater que, le coût des billets d’avion reste très onéreux dû au manque de liaisons directes entre les pays africains. Les exigences de visa d’entrée engendrent également de longues procédures administratives. Et quand les artistes arrivent à bon port, ce sont les œuvres qui n’arrivent pas à temps. En effet, le phénomène des œuvres qui restent bloquées aux douanes est monnaie courante notamment parce que les assurances ne sont pas contractées par les organisateurs en raison de leur coût exorbitant ou le manque de connaissances du secteur par les courtiers refusant d’assurer les œuvres. La taxation sur les entrées et autres autorisations diverses ne permettent pas d’assurer un équilibre financier. Enfin, depuis deux ans, la case Covid-19 a fait son apparition dans les tableaux de monitoring des organisateurs rehaussant ainsi les coûts déjà très élevés.

Pour conclure, bien que les obstacles et défis à relever ne manquent pas aux organisateurs des festivals africains, ceux-ci ont encore des beaux jours devant eux et continueront à gagner en popularité auprès d’un public de plus en plus international au fur et à mesure qu’ils vont se structurer. Se produire et être vu en festival restent un exercice important pour les artistes africains afin de se forger une expérience de la scène et de rencontrer des programmateurs et divers professionnels du secteur. La contribution des ICC au développement socioéconomique est sans conteste au vu de l’activité économique plus importante en période de festival notamment par la création d’emplois directs et indirects.

Norbert Nzarubara

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